Démarche artistique:
Expérimentant différents genres et médiums – cinéma documentaire, fiction, vidéo expérimentale – Macha Ovtchinnikova interroge la notion du temps et son investissement dans les formes filmiques : comment montrer l’entreprise vertigineuse qu’est l’exploration de la mémoire ? comment rendre compte en images, en sons, en mots ou en silences une expérience humaine ? Les images d’archives des années 1990, les témoignages des femmes, la projection vidéo spatialisée et sur miroir, les prises de vues dans les paysages urbains constituent la matière première de ses derniers films et projets en cours.

La pièce vidéo « Stigmates de la terre » raconte un épisode tragique de l'histoire de la Shoah à Kiev, incarné dans les paysages urbains désertiques, la forme aride du montage, les couleurs froides de l’image, les crépitements secs dans la bande-son, les notes glaciales du sound design, et la dureté des mots tracés en bas de l’écran.
Genre : documentaire/expérimental
Durée : 10'57
Langue des dialogues : anglais, russe
Sous-titres : anglais
Pays de production : France/Russie
Date d'achèvement de la production : 01/2020
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Présentation de la pièce:

Depuis mon enfance, j’entends les bribes d’une histoire horrible. En Ukraine, à Babiy Yar, pendant la guerre, on exécutait des milliers de Juifs qui étouffaient sous la terre.

Chez mon arrière-grand-mère, il y avait une photographie en noir et blanc représentant un terrain vague vallonné et aride, recouvert par endroits d’herbes sèches. Une croix est dessinée au stylo noir sur la photo désignait l’endroit approximatif où sa sœur Esfir avait été enterrée avec sa famille.
Cette image qui me hante depuis mon enfance, je ne l’ai jamais vue, et aujourd’hui elle n’existe plus. Je demande alors à ma mère de revenir sur cette histoire familiale, de refaire ce geste désormais mémoriel, de ranimer l’histoire de cette femme.

Avant la guerre, Esfir avait une famille heureuse, un époux et trois enfants. Ils vivaient dans ce quartier juif de Kiev, non loin de Babiy Yar.

Le 22 septembre 1941, les allemands sont entrés dans Kiev.
Et le 28 septembre 1941, tous les juifs de la ville sont appelés à se rendre à un point de rencontre munis des documents et d’effets personnels.
Le 29 septembre, à l’aube, les milliers de juifs ont quitté leurs appartements chargés de valises et de provisions pour ce qu’ils croyaient être un long voyage.
Esfira, son mari et ses enfants, étaient parmi eux.

Pour raconter cette histoire intime et universelle, j’ai choisi la vidéo qui est mon médium de prédilection. La vidéo reproduit donc ce long trajet matinal : trois portions de ce parcours filmé dans le quartier actuel. Babyi Yar est aujourd’hui un discret lieu de mémoire, un parc désert et peu aménagé qui semble conserver ces stigmates de la terre.
La première fois que j’ai visité ce lieu, j’étais frappée par son aspect désert, impersonnel. Cette vidéo tente de retranscrire ma première impression douloureuse : la forme aride du montage, les couleurs froides de l’image, les crépitements secs dans la bande-son, les notes glaciales du sound design, la dureté des mots tracés en bas de l’écran.

C’était son tombeau, invisible, virtuel, que désignait la petite croix tracée au stylo sur la photographie. C’était la seule trace qui restait de cette femme dont les documents avaient été brûlés, les livres et les vêtements volés. Mais cette photographie n’existe plus.
La vidéo « Stigmates de la terre » vient alors comme un acte mémoriel.